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Sciences de la vie et de la Terre

Collaborons pour « détourner le bac à sable » !

10 / 04 / 2016 | Frédéric Véron

Retour sur un peu plus d’un an d’utilisation du jeu « Minetest [1] » en classe avec les élèves de 6e dans le cadre du projet « mon collège avec Minetest ».

Lorsqu’il est détourné [2] de son rôle initial pour en faire un outil pédagogique, Minetest est un jeu en réseau coopératif et collaboratif qui offre des possibilités pédagogiques nouvelles aux élèves .

Quelques élèves en flagrant délit de coopération - collaboration !
Quelques élèves en flagrant délit de coopération - collaboration !

Ce jeu possède également quelques propriétés techniques facilitant le travail de l’enseignant. En effet, le jeu est aisément personnalisable par l’enseignant et/ou les élèves et ne nécessite pas d’installation pour fonctionner sur un Ordival [3] par exemple.

Le projet initial :

Dans le cadre de la liaison école-collège et du programme de SVT, les élèves de 6e du collège ont utilisé le jeu Minetest pour préparer la visite des CM2 en partant d’un jeu qu’ils connaissaient. En effet, partant du constat que les nouveaux arrivants avaient d’importantes difficultés pour se repérer dans notre établissement, nous avons décidé de proposer aux écoles de pouvoir découvrir notre collège tout au long de l’année au travers d’une interface numérique ludique tridimensionnelle.
Le projet a par la suite intégré d’autres disciplines dont l’Histoire - Géographie et les lettres (UPE2A).

3 anecdotes pour mieux comprendre :

Si vous n’êtes pas familier de ce type de jeu, j’imagine que vous êtes en train de vous dire : « mais qu’est-ce que ce truc ? », « quel est le rapport avec les programmes ? »...

Je vais donc commencer par vous raconter deux petites anecdotes :

Sur la première version du collège construite par mes élèves en janvier 2015, j’ai eu la surprise de constater que ces derniers avaient choisi les cubes en fonctions de leurs couleurs afin de correspondre au mieux à la réalité « visuelle ». Par conséquent, le sol (et les plafonds) avaient été construit en grès. Grave erreur ! Car le jeu tient compte des processus d’érosion ! Autrement dit, au bout de quelques jours dans le jeu, nous nous sommes retrouvé avec un tas de sable gigantesque au milieu du collège !!! (En effet, le grès termine en grains sables de par les processus d’érosion...)

Pendant l’une de mes dernières séances : « Monsieur, Monsieur, je ne comprends pas : j’ai bien construit l’enclos comme vous avez demandé ! Par contre je crois qu’il y a un bogue dans le jeu parce que lorsque j’y met des poules, il y a des œufs... mais les poussins ne naissent pas ! ».
Je l’interpelle en lui proposant d’ajouter un coq dans son enclos...
« Génial Monsieur, vous avez corrigé le bogue, maintenant il y a même des poussins qui naissent, grandissent et... deviennent des poules ou des coqs ! »

Deux élèves gèrent leur élevage de volailles...
Deux élèves gèrent leur élevage de volailles...

Ces anecdotes doivent d’hors et déjà vous laisser entrevoir quelques pistes d’exploitation pédagogique...

Vous l’avez compris, le jeu est « puissant » et vous permettra de travailler à minima les points des programmes suivants :

  • Apprendre à se repérer sur une carte, un plan.
  • Comprendre et savoir appliquer la notion d’échelle.
  • Découvrir les notions de cycles de vie, de chaînes et réseaux alimentaires, l’agriculture humaine, de biomes...
  • Découvrir les principales notions de géologies (érosion, volcanisme...).
  • Comprendre l’influence des conditions météorologiques, de l’Homme… sur l’environnement.
  • Découvrir la notion de modélisation.
  • Apprendre à coopérer et collaborer.
  • Découvrir les matériaux, leurs propriétés, les notions de composites...etc

Voici un exemple de proposition d’élève afin de réaliser le travail : "partir des données de cartographies disponibles sur Internet".

Exemple d'astuce mise en place par les élèves de 6e
Exemple d’astuce mise en place par les élèves de 6e

C’est à partir de là que tout devient passionnant avec cette 3e anecdote (arrivé le 1er avril 2016, et ce n’est pas un poisson !) :

Comme d’habitude, je retrouve le vendredi midi les élèves les plus motivés par Minetest pour le « club minetest » et l’un deux me demande s’il peut me montrer ce qu’il a fait pendant le week end de Pâques. (Bon, jusque là, rien d’anormal, je m’attends à voir une maison de plus... lol). L’élève démarre le jeu en « local » et m’explique comment il construit des voitures dans le jeu. Sauf que ses voitures, elles roulent, tournent... Bref, de vraies voitures ! Et surtout, par défaut, le jeu que je lui avais transmis ne le permettait pas. Je lui demande comment il a fait : « c’est très simple monsieur, j’ai créé un mod, si vous voulez, je vous le donne ! » (là, mon cerveau se met en mode sérieux). Je regarde, il m’explique plus en détail... et je comprends qu’il a vraiment fait du code... tout seul, en s’inspirant des autres mods du jeu. Cet élève, ne trouvant pas l’option dans le jeu avait décidé de créer l’option lui-même. Depuis hier, son mod est intégré dans le serveur du prof. Respect, cet élève a 11 ans.

La gestion du groupe :

Il est toujours intéressant (pour ne pas dire passionnant) de réfléchir à la manière dont l’enseignant pourra (ou non !) canaliser l’énergie débordante de ses élèves (et les dérives) pour mettre en place une réalisation compatible avec le cours.

Dans le cadre d’utilisation d’un jeu comme Minetest, il m’est apparu important de réinsister sur la notion du « lâcher prise » (tout comme lorsqu’on réalise un travail d’écriture collaborative).
En effet, il est essentiel, dans une situation comme celle-ci, de mobiliser les acquis et compétences des élèves (qui, ici, dans le cadre du jeux, sont clairement meilleure que celle de la plupart des adultes !) et de faire confiance. chaque fois que l’objectif de la séance était clairement énoncé, tout s’est toujours bien passer !

Afin de placer l’ensemble des élèves sur un pied d’égalité, et de laisser un temps d’adaptation aux élèves qui ne connaîtraient pas le jeu, j’avais dès le début modifier les raccourcis claviers (de manière à ce qu’il ne soient pas identiques à ceux de Minecraft).

Voici la manière dont j’ai procédé :

  • je commence toujours par expliquer en classe le principe du jeu, l’objectif des séances...
  • je donne ensuite un cadre de 4-5 règles élémentaires à respecter et surtout un objectif principal. Le principe est par conséquent le même que celui du "projet pédagogique". A partir de là, les élèves doivent s’organiser seuls ou à plusieurs pour mener à bien leur mission.
  • enfin, j’encadre et je guide, en particulier sur les premières séances.

Voici en complément la page que les élèves utilisent pour trouver et/ou partager de l’information : http://svtuxboxproject.pagesperso-orange.fr/minetest.html

Remarque : c’est un choix, j’accepte, lorsque le travail est réalisé correctement, de laisser des moments de liberté dans le jeu. Cela peut-être un créneau horaire hors cours sur la map de travail ou une map spécifique (l’enseignant peut en effet générer assez facilement des maps personnalisées).

Il faut bien l’avouer, en « live », il est très difficile de savoir qui fait quoi s’il y a 30 joueurs en même temps sur la même map ! Par conséquent, de la même manière qu’avec Framapad, je recommande de débuter avec un petit groupe d’élèves connectés.

D’expérience, j’ai remarqué qu’il était bénéfique de toujours laisser les élèves découvrir l’outil par eux-même avec un temps de liberté. Une fois la maîtrise de l’outil acquise, il est plus simple de fixer un (ou des) objectif(s) à la classe. Sachez par contre que toutes les actions sont enregistrés sur votre serveur. N’hésitez pas à prévenir vos élèves !

Vue aérienne du collège de nuit...
Vue aérienne du collège de nuit...

Quelle position pour l’enseignant ?

Du point de vue de l’enseignant, pour ma part, j’apprécie « d’entrer dans l’équipe » sans pour autant donner des ordres. Le simple fait d’être enseignant vous place déjà comme une personne ressource. A vous de contrôler que l’objectif est atteint dans le temps alloué à la mission.

Observations :

Ce que j’ai observé :

  • tous les élèves sont motivés et participent (à leur manière du moins),
  • une coopération se met en place (la collaboration nécessitera à minima une douzaine d’élèves, et pourra être difficile car les élèves acceptent mal au début la modification de leurs productions, comme avec Framapad),
  • il est indispensable d’avertir les élèves que tous leurs actes sur la plateforme est enregistré et sauvegardé.

Afin de motiver, mais aussi de récompenser le travail et le sérieux, j’ai mis en place un système de niveaux que les élèves gravissent progressivement. A chaque gain de niveau, l’élève gagne ce qu’on appelle dans le jeu des "privilèges", c’est à dire des pouvoirs supplémentaires. Ainsi, il y a 5 niveaux, en fonctions des privilèges attribués. Le principe est assez simple : plus vous êtes sérieux, plus vous montez dans les niveaux, et donc plus vous avez de "pouvoirs" !

  • "Niveau 1" : c’est le niveau par défaut, à votre première connexion. Vos privilèges sont : interact, shout, home, shout, creative.
  • "Niveau 2" : interact, shout, home, creative, fast, fly.
  • "Niveau 3" : interact, shout, home, creative, fast, fly, kick, teleport, spawn.
  • "Niveau 4" : interact, shout, home, creative, fast, fly, kick, teleport, spawn, ban, basic_privs, give, settime, noclip, worledit.
  • "Niveau 5" (prof) : ce niveau donne accès à toutes les fonctionnalités du jeu : interact, shout, home, creative, fast, fly, spawn, server, password, bring, kick, worldedit, teleport, ban, noclip, privs, basic_privs, give, rollback, settime.

Si ce langage peut paraître obscur, sachez qu’il ne l’est pas pour nos élèves !
Pour résumé, l’objectif est de responsabiliser et rendre autonome les élèves, y compris dans l’administration du jeu.

Exemple d'inventaire pouvant être mis à disposition...
Exemple d’inventaire pouvant être mis à disposition...

Points de vigilance :

Afin d’être totalement transparent, je n’ai pas peur d’avouer que toutes mes séances avec Minetest depuis l’an dernier n’ont pas été une réussite ! Certaines étaient fantastiques, d’autres décevantes... Mais cela me permet aujourd’hui d’aborder avec vous certains points de vigilance m’apparaissant comme incontournables :

  • Si la motivation des élèves est le point fort du projet, l’enseignant doit savoir fixer des limites, notamment en terme d’horaire (à vous de fixer les vôtres).
  • Idem en terme de nombre de séances consacrées au jeu.
  • La gestion des élèves dans ce travail hautement collaboratif est d’autant plus complexe que le nombre d’élèves connectés en même temps est grand. En clair, voyez "modeste" au début !
  • Même si le travail et les notions du programmes sont abordées et comprises des élèves, j’ai remarqué qu’il était nécessaire de toujours rappeler aux élèves... qu’il s’agissait bien d’un travail. En d’autres termes, vous risquer d’avoir des élèves ne percevant QUE le jeu si vous n’y êtes pas attentif.
  • N’hésitez pas à responsabiliser les élèves les plus sérieux. Pour ma part, j’attribue des droits dans le jeu d’autant plus importants que l’élève est rigoureux, sérieux et qu’ils collaborent. Ainsi, aujourd’hui, plusieurs élèves sont devenus des « maîtres du jeu » (à terme tous les élèves doivent tendre vers cette compétence).

Voilà, il ne me reste plus qu’à vous encourager à tester et à vous souhaiter bonne chance ! Bien entendu, cette page sera complétée au gré de mes temps libres et nouvelles expérimentations.

Vue aérienne du plateau de jeu
Vue aérienne du plateau de jeu

Au final, ce sont plus de 200 élèves qui participent (ou ont participé) au projet !

Reconstitution de notre jardin pédagogique...
Reconstitution de notre jardin pédagogique...

Pour en savoir plus :

[1Minetest est un jeux en réseau de type « bac à sable » ou « sandbox » (c’est à dire ressemblant au célèbre Minecraft, mais sous licence libre) que nous détournons pédagogiquement.

[2c’est le « serious gaming »

[3Ordival est l’ordinateur (fonctionnant avec Microsoft Windows 7, 8 ou 10, selon les versions) distribué aux élèves entrant en 6e dans le département du Val-de-Marne par le Conseil Départemental

 

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