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Sciences de la vie et de la Terre

Jouer sérieusement en S.V.T.

14 / 02 / 2011 | Julien Llanas

Introduction

Au lycée Romain Rolland d’Ivry, Martine Pernodet utilise des jeux sérieux pour enseigner les SVT en section européenne anglais.

Un contexte particulier

La section européenne anglais est une section d’enseignement dans laquelle les stratégies d’apprentissage ludique ont leur place. Pour des questions de cultures enseignantes, le jeu y est souvent mobilisé. Les enseignants français officiant dans les sections européennes anglais s’inspirent des méthodes utilisées outre-Manche. Au Royaume-Uni, pour faciliter les interactions entre élèves, des jeux de rôle sont souvent utilisés dans l’apprentissage des langues. Chacun se voit attribuer un rôle et défend un point de vue, prend des initiatives ou des décisions en rapport avec ce rôle dans un univers imaginaire. Ces pratiques sont également habituelles dans les cours d’histoire, de géographie et d’économie. Les jeux de plateau et les jeux de cartes sont aussi fréquemment utilisés par les enseignants britanniques et pas seulement pour les niveaux d’enseignement les plus bas : on retrouve ces pratiques au lycée.

De plus, en SVT, les enseignants ont l’habitude d’avoir recours à des logiciels de simulation et à des logiciels de modélisation en trois dimensions. Ces pratiques sont attestées depuis de nombreuses années et percolent même dans le cadre des examens : pour la préparation au baccalauréat les élèves sont sensés maîtriser la modélisation moléculaire avec le logiciel Rastop. Les enseignants de collège et de lycée ont recours à des animations permettant d’illustrer certaines notions : le site du fameux Jean-Pierre Gallerand est une plateforme bien connue par ces enseignants. Pour montrer la proximité des logiciels de simulation traditionnels avec la nouvelle famille des “Serious Games” on pourra observer que Jean-Pierre Gallerand a renommé ses animations et les présente désormais comme étant des jeux sérieux : http://www.e-svt.fr

Enfin, le fait que l’enseignement de la biologie soit le cadre dans lequel se développent les pratiques pédagogiques fondées sur des supports vidéoludiques au lycée Romain Rolland n’est sûrement pas un hasard non plus. Dans le domaine du jeu sérieux, ou “serious games”, la santé et la médecine sont des secteurs très actifs : la formation médicale et paramédicale, les associations et les agences, les laboratoires font appel à ce nouveau média qu’est le jeu sérieux pour former et informer. La promotion de médicaments, la diffusion de bonnes pratiques alimentaires, des campagnes de sensibilisation à des problématiques telles que l’alcoolisme ou la pandémie grippale sont des thèmes abordés dans le cadre de ces jeux vidéo particuliers. Une liste de ces jeux permettant potentiellement d’enseigner la biologie est par ailleurs disponible sur le site jeux sérieux et 3D de l’académie de Créteil. La santé et la médecine, donc indirectement la biologie, font partie des thématiques très bien représentées dans le corpus des jeux sérieux existant au même titre que l’éducation au développement durable ou encore l’apprentissage de l’anglais.

La ressource utilisée

Un site mobilisé dans le cadre de ces séquences d’enseignement des SVT en section européenne anglais est nobelprize.org. Il s’agit du site officiel de l’écosystème “Prix Nobel” c’est-à-dire la vitrine sur Internet des associations telles que la fondation prix Nobel, les institutions remettant ces prix telles que l’académie royale de Suède pour les prix de physique, chimie et économie mais rassemblant aussi une myriade d’organismes en charge de problématiques liées aux droits, aux finances, à la communication autour des prix Nobel. Le but de ce site est de communiquer sur les actions et objectifs de ces institutions. La raison d’être de ce réseau étant la délivrance du prix Nobel, une section de ce site rassemble des documents et des petits jeux permettant de vulgariser les découvertes scientifiques ayant été distinguées. Plusieurs de ces jeux sérieux ont un véritable potentiel pédagogique en ce qui concerne la biologie mais d’autres peuvent être appliqués dans d’autres domaines : physique, chimie, littérature, géographie, économie.

La place du jeu sérieux dans la séquence : deux exemples

Site du jeu sérieux « The Diabetic Dog » : http://nobelprize.org/educational/m...

Le jeu « The Diabetic Dog » est utilisé par Martine Pernodet pour introduire aux problématiques systémiques de la régulation du taux de sucre dans le sang. Dans un premier temps de la séance elle fait découvrir aux élèves les organes impliqués dans la régulation de la glycémie : une observation comparée au microscope d’un pancréas diabétique et d’un pancréas non-diabétique permet de présenter les tissus producteurs d’enzymes. Ensuite l’introduction au système de régulation de la glycémie est effectuée grâce au logiciel « sysrégul » dans un deuxième temps : l’effet sur la glycémie de l’ingestion des aliments est mis en lumière. Enfin dans un troisième temps, les élèves sont confrontés à la complexité du système dans son entier en prenant soin d’un chien diabétique. Dans ce jeu il faut aller promener son chien, le nourrir, le dorloter, lui acheter des jouer… tout en vérifiant son taux de glycémie : s’il est trop bas ou trop haut on peut observer les effets de ces situations sur le comportement du chien. Les effets de la course du chien ou d’une piqure d’insuline sur le taux de glycémie sont également visibles. L’impossibilité pour le chien de réguler seul sa glycémie permet de comprendre rapidement la gêne qui sera occasionnée chez un être humain obligé d’avoir recours à l’insuline plusieurs fois par jour. On s’attache au chien à tel point qu’on finit par lire le manuel pour apprendre à mieux s’en occuper : le manuel en anglais permet de se familiariser avec le vocabulaire spécifique de la régulation de la glycémie.

Site du jeu sérieux « DNA –The Double Hélix » : http://nobelprize.org/educational/m...

Le jeu « DNA – The Double Helix » est utilisé pour introduire l’élève à la structure de la molécule d’ADN. Dans ce jeu on doit on apprend la composition d’une molécule d’ADN : on joue avec les chromosomes, les paires de bases et les gênes. On apprend également que la molécule d’ADN caractérise un organisme grâce à une mise en intrigue de cette loi génétique. Enfin on se rend compte que des erreurs dans la réplication provoquent des mutations et que certains organismes vivants peuvent survivre avec un certain nombre de mutations. A travers le jeu trois thèmes du programme sont donc ainsi traités : « l’ADN est une molécule avec une structure particulière et des composants bien définis », « l’ADN est une molécule qui est héritée et transmise », « l’ADN est une molécule qui est spécifique à une espèce ». La séquence mise en place par Martine Pernodet correspondait à « la spécialisation de la cellule et son information génétique ». Bien évidemment, le jeu sérieux en anglais a permis de transmettre au-delà des connaissances et des compétences mentionnées du vocabulaire en anglais : un vocabulaire illustré de manière visuelle, dynamique et interactive.

Les points forts de cette innovation pédagogique

Du point de vue de leur valeur didactique en biologie, les ressources sont comparables à celles présentes dans des manuels scolaires : elles sont revues par des collèges d’experts mobilisés par la fondation Nobel. Cependant leur interactivité permet aux élèves de mieux se représenter certaines notions : ils ont la possibilité de faire évoluer des paramètres dans le cadre d’un modèle simplifié du phénomène étudié. Cette interactivité permet de souligner les liens de cause à effet mais également de faire prendre conscience à l’élève de la dimension systémique du modèle qu’il manipule. Le taux de sucre dans le champ du chien a un impact sur sa santé. Le nombre d’erreurs dans la retranscription de l’ADN provoque des mutations qui peuvent être plus ou moins viables selon leur degré d’occurrence.

Du point de vue de leur valeur didactique en apprentissage de la langue anglaise, les ressources permettent aux élèves d’acquérir un vocabulaire spécifique qui correspond à la fois aux objets, organismes, composants qu’ils manipulent mais aussi aux processus qu’ils initient ou étudient. Cet apprentissage dynamique, par le faire, pourrait avoir un impact important sur l’enrichissement de leur vocabulaire et sa mémorisation. La motivation supplémentaire apportée par le jeu pousse les élèves à effectuer des efforts d’inférence qu’ils ne feraient sûrement pas dans le cadre d’activités classiques. Enfin, le détour par le jeu permet de diminuer l’inhibition de certains élèves qui ont du mal à s’exprimer dans une langue étrangère dont ils ont honte de ne pas maîtriser la prononciation et cela quel que soit leur niveau scolaire par ailleurs.

D’un point de vue pédagogique, l’apport est plus flagrant. Les élèves prennent un plaisir renouvelé à jouer au jeu. Ce plaisir renouvelé permet à l’enseignant de s’appuyer sur une découverte des ressources indiquées à la maison en autonomie : l’élève pratique le jeu en dehors de la classe. De plus, la dédramatisation de l’échec permet à l’élève de prendre des risques en testant des hypothèses dans le cadre semi-ouvert du jeu qu’il n’aurait pas forcément émises dans le cadre d’une séance de Travaux Pratiques (TP) classique. Enfin, la compétition est ici relative puisqu’il s’agit avant tout de remporter un jeu : les inhibitions dans ce cadre-là se font moins sentir également et certains élèves peu enclins à revendiquer le statut de bon élève dans le cadre d’un cours classique se laissent prendre au jeu et exploitent plus aisément dans un cadre ludique la totalité de leurs compétences.