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Sciences de la vie et de la Terre

L’iguane qui rétrécit

02 / 11 / 2005 | Liliane Grandmougin

Chez les vertébrés, la croissance est continue jusqu’à l’âge adulte et unidirectionnelle. Pourtant, les scientifiques viennent de constater un curieux phénomène chez les iguanes marins : ils peuvent rétrécir !

Amblyrhynchus cristatus
Amblyrhynchus cristatus
Iguane marin - île de San Cristobal(ph.L.Grandmougin)

Les iguanes marins (Amblyrhynchus cristatus)sont des reptiles endémiques des îles Galápagos, situées à 1000kms des côtes de l’Equateur. De petite taille- environ 30cm pour les sous-espèces les plus grandes- ils peuvent vivre plus de 28 ans.

Dans cet environnement volcanique, les ressources sont rares et soumettent tous les êtres vivants à de fortes pressions de sélection. Les iguanes marins occupent une niche écologique particulière : ils se nourrissent d’algues poussant dans la zone intertidale. Mais pour les atteindre, c’est le parcours du combattant ! Ils doivent se précipiter entre deux vagues, se ruer vers des crevasses et s’agripper de toutes leurs forces aux rochers pour éviter d’être emportés au large ; puis ils doivent plonger environ 30 mn pour brouter le plus d’algues possible, dans des eaux descendant jusqu’à 11°C - glaciales pour un ectotherme- et revenir par le même chemin. Pour les plus jeunes, déjà faibles devant la puissance des vagues, s’ajoute la menace des prédateurs comme la buse des Galápagos : le sprint est vital !

L’adaptation à ce mode de vie athlétique se retrouve dans de fortes griffes et une queue aplatie latéralement, facilitant la nage en surface comme en plongée. Les trempettes dans les eaux glaciales sont précédées et suivies de longues heures au soleil brûlant pour emmagasiner la chaleur, ponctuées par des « éternuement » qui évacuent l’excès de sel absorbé via des glandes situées dans les narines.

Amblyrhynchus cristatus
Amblyrhynchus cristatus
Iguane marin - île de San Cristobal(ph.L.Grandmougin)

Les courants froids qui longent les côtes, comme le courant de Humboldt, sont chargés de sels minéraux, indispensables au développement des algues vertes et rouges, et du phytoplancton, source de riches écosystèmes dans la région. C’est un phénomène baptisé « la Niña ». Mais, tous les 3 à 7 ans, un phénomène inverse, « El Niño »vient perturber cet équilibre. Il ramène des eaux chaudes (jusqu’à 32°C) en surface, bloquant toute remontée de sels minéraux, apporte des pluies abondantes, favorables aux écosystèmes terrestres, mais néfastes aux zones côtières. Les algues intertidales sont peu à peu remplacées par des algues brunes, difficiles à digérer par nos iguanes. La population perd alors jusqu’à 90% de ses individus qui meurent de faim. Les plus touchés sont les iguanes de grande taille qui se nourrissent moins efficacement que les adultes plus petits. Ils sont en effet, en temps normal, en permanence à la limite de leur métabolisme. Or ce sont d’ordinaire les plus nombreux : les grands mâles sont sélectionnés par les femelles, tandis que ces dernières doivent faire des réserves pour leurs œufs. Un équilibre taille/bilan énergétique s’installe, gravement perturbé lors des « El Niño ».

Se produit alors un curieux phénomène : les iguanes, en particulier les mâles, rétrécissent, jusqu’à perdre 20% (6,8 cm) de leur taille d’origine. Il ne s’agit pas seulement des cartilages et conjonctifs, qui ne représenteraient que 10%, mais aussi des os. Ceux-ci sont en permanence dégradés par des cellules (ostéoclastes) et renouvelés par d’autres (ostéoblastes). Dans ce cas, le rétrécissement pourrait résulter à la fois de la réduction de la mobilité durant les El Niño, un peu comme ce que l’on constate chez les cosmonautes durant des mois d’apesanteur, mais aussi d’un niveau élevé de corticostérone typique d’un stress. Lors du retour de La Niña, les iguanes reprennent leur croissance. Les individus répondant ainsi à une modification de l’environnement par un avantage adaptatif sont plus à même d’assurer leur survie et de léguer leurs gènes à leur descendance.

Cette étude est non seulement un extraordinaire exemple de sélection naturelle, mais aussi une source précieuse d’informations sur les facultés de récupérations du squelette, par exemple lors d’immobilisation prolongée ou dans les cas d’ostéoporose.
L.G.

D’après Nature vol.403, 6 Janvier 2003 - M.Wikelski &:C.Thom »Marine iguanas shrink to survive El Niño » et M. Wikelski & M.Romero « Body size, performance and fitness in Marine Galápagos Iguanas »

Pour en savoir plus :

 Charles Darwin Research Station : http://www.darwinfoundation.org/
 Une visite virtuelle des Galápagos :http://www.pbs.org/safarchive/5_cool/galapagos/g52b_tax.html
 Le site de Martin Wikelski : http://www.princeton.edu/%7Ewikelski/GIguana.htm
 Une classe sur le terrain : http://innovalo.scola.ac-paris.fr/AEFE/Actions/Projet_Galapagos/deroulement.htm

 

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