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Sciences de la vie et de la Terre

La Science pour et par la cuisine, la cuisine pour et par la Science.

06 / 01 / 2020 | Anne Ciavatti

La cuisine est l’un des rares sujets qui préoccupe tout un chacun, qu’il soit question de survie, de plaisir, de santé, de carrière, de culture ou d’environnement. Elle est à la fois un art et une science. Ou plutôt, elle est art et elle est Science. En tout point, on ne peut se passer de sciences lorsqu’il s’agit de cuisiner.
Cet article s’efforcera de montrer comment, en cuisinant avec nos élèves, nous pouvons aborder, expliquer et manipuler des concepts scientifiques variés et comment, au-delà de cela, la cuisine nous amène à réfléchir aux enjeux futurs.

Comprendre et manipuler des concepts scientifiques

Le pH

Coulis de fruits rouges à pH acide et basique
Coulis de fruits rouges à pH acide et basique

Le pH est une notion abordée du collège à l’université avec des niveaux de complexité croissants. On peut aisément utiliser la cuisine pour illustrer, voire manipuler ce concept.
Par exemple, en faisant changer la couleur d’une préparation de fruits rouges par variation de son pH. Pour cela, on peut utiliser du citron et du bicarbonate de soude. Ainsi une panna cotta au coulis de fruits rouge qui change de couleur peut se montrer une jolie expérience scientifique et permet d’éblouir ses convives.
Au niveau collège on se contentera de le mesurer et d’observer qu’il peut modifier les couleurs d’une préparation. Cela permettra de comprendre ce qu’est le pH, acide, neutre et basique.
On pourra, au niveau lycée, provoquer la formation d’une effervescence sur ce coulis et l’expliquer. Pour cela on ajoute du citron sur une préparation de fruits rouges qui avait été rendue basique grâce à du bicarbonate de soude. On obtiendra ainsi une jolie préparation avec une mousse onctueuse sur le dessus. On pourra, toujours au lycée écrire l’équation de la réaction qui se produit et calculer le pKa du couple acide/base.
A l’université, on pourra tracer des courbes de détermination du pKa et travailler sur le dosage.

Exemple de recette : « fruits rouges / fruits noires en effervescence » issue du livre « le répertoire de la cuisine innovante » (Raphaël Haumont et Thierry Marx).

Les sens et la communication nerveuse

L’une des applications des sciences en cuisine est de tromper les sens.
Des expériences simples consistent à faire déguster aux élèves des aliments en cachant ou en perturbant l’un de leur sens. On peut faire déguster des produits dont la couleur a été modifiée avec des colorants alimentaires. On montre ainsi l’influence du visuel sur la perception du goût.
On peut aussi faire déguster à l’aveugle puis le nez bouché (ou perturbé par une odeur forte) des produits de différentes textures. On montre ainsi l’importance de la perception olfactive dans la détermination du goût mais aussi la capacité de la langue à percevoir les textures (par exemple la texture d’une banane est facilement reconnue malgré son goût peu marqué).
Cela permet de traiter la perception sensorielle et la communication nerveuse à différents niveaux de difficulté du collège à l’université. On pourra également travailler sur le circuit de la récompense.

Les liaisons chimiques

Oeufs sur le plat en trompe l'oeil
Oeufs sur le plat en trompe l’oeil

La notion de liaison chimique est abordée du collège à l’université et peut facilement être travaillée en mettant en jeu la cuisine.
On peut par exemple utiliser des algues en tant que gélifiant, elles sont une alternative à la gélatine. On peut ainsi étudier les liaisons chimiques faibles à l’œuvre et même aller jusqu’à l’étude de la structure d’un gel et étudier la liaison qui s’établit entre les groupements carboxyles de l’alginate de sodium et le calcium.
On peut aussi, au lycée ou à l’université, extraire l’alginate d’algues brunes telles que les laminaires ou les carraghénanes d’algues rouges.

Voici un exemple de recette à base d’agar agar : "Les oeufs sur le plat en trompe l’oeil".

Toujours en lien avec les liaisons chimiques on peut faire « cuire » un œuf sans cuisson. En faisant varier le pH ou en utilisant de l’alcool, on peut observer les variations de coagulation d’un œuf. En effet, les acides ou l’alcool provoquent une dénaturation des protéines puis une coagulation piégeant l’eau (de l’œuf). On peut aussi utiliser le sel (ou la sauce soja salée) ou le sucre qui, en faisant varier la charge ionique, provoque aussi une dénaturation puis une coagulation.
Ce sera l’occasion de parler des différents types de liaison et interaction chimique présentes dans une protéine (liaisons covalentes, ponts disulfures, interactions hydrophobes, liaisons ioniques, liaisons hydrogènes, interaction de Van-Der-Waals) et étudier les structures primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire d’une protéine.

La structure interne de la Terre : modèle PREM

Gâteau planète Terre
Gâteau planète Terre

L’étude de la constitution de la structure interne de la Terre est au programme de géologie du collège jusqu’en université. Le modèle « PREM » permet d’en comprendre la structure interne.
On peut, de façon simplifiée, voire simpliste reproduire cette structure en recherchant des recettes qui permettent de reproduire les différences de structure et de densité. Ainsi, on peut réaliser un « gâteau planète Terre ».
Voici le descriptif de la réalisation d’une forêt noire sans alcool mimant la structure de la Terre : Une fine couche de chocolat noir ou une meringue permettra de reproduire le côté cassant de la lithosphère (la meringue aura l’avantage de reproduire également la faible densité de la lithosphère), une gelée de cerise permettra de mimer la nature ductile du manteau, un coulis de fruits rouges ou du chocolat fondu imitera la nature liquide du noyau externe et un gâteau au chocolat dense permettra de reproduire la nature solide et dense du noyau.
On pourra ajuster l’épaisseur des couches et essayer de se mettre au plus près d’une structure à l’échelle.

Voici un exemple de recette de gâteau "planète Terre" au chocolat et au caramel au beurre salé.

La fermentation

Brioche de Nanterre
Brioche de Nanterre

Au même titre que les autres concepts évoqués précédemment, celui de la fermentation peut être étudié à tous niveaux.
Au collège, on se contentera de montrer l’intérêt des micro-organismes dans la production alimentaire grâce à la fermentation. On peut aussi étudier la conservation des produits alimentaires et l’hygiène alimentaire. On pourra ainsi réaliser une préparation de brioche en prenant l’exemple des levures comme micro-organismes aidant à la levée de la pâte et observer ces micro-organismes.
Au lycée on pourra étudier la réaction chimique de fermentation en lien avec la production d’énergie, étudier et observer les différents types de micro-organismes présents dans le yaourt. On peut aussi étudier l’hygiène en cuisine et la croissance bactérienne.
En université, on pourra réaliser de la numération et mettre en évidence la différence entre un yaourt et une préparation lactée. On pourra aussi faire varier les types de microorganismes et de fermentation (alcoolique, butyrique, lactique).

Voici un exemple de recette pour la préparation de la brioche.

Créer un lien avec le monde du travail et de la recherche

Rencontre avec le chef aux 2 étoiles Thierry Marx
Rencontre avec le chef aux 2 étoiles Thierry Marx

L’intérêt des sciences en cuisine dépasse largement les horizons de l’enseignement. La compréhension de l’implication des sciences en cuisine intéresse le monde de la recherche et certains des plus grands cuisiniers.
Thierry Marx nous a ouvert les portes des cuisines de son restaurant doublement étoilé « Le sur mesure » à Paris. Cette visite et nos échanges avec le chef ont été extrêmement instructifs. En effet, le chef Thierry Marx nous a expliqué sa philosophie culinaire qui comprend deux axes majeurs. D’abord l’inclusion de la cuisine dans une démarche de développement durable, notamment la réflexion autour de la cuisine de demain. Ensuite, l’intérêt pour l’innovation culinaire par et pour les sciences. Il travaille en étroite collaboration avec le chercheur en physico-chimie Raphaël Haumont (auteur des « papilles du chimiste »). De cette collaboration est né un livre qui est une ressource intéressante pour ceux qui s’intéressent au lien Science et cuisine ; « Le répertoire de la cuisine innovante ».
Autre produit de cette symbiose originale entre un chef et un chercheur : le Centre Français d’Innovation Culinaire (CFIC). Ce centre va au-delà du lien sciences et cuisine puisqu’il met également en lumière l’interaction forte entre le monde de l’artisanat et le monde de la recherche. Le CFIC est un lieu de réflexion sur la cuisine du futur. Il permet donc un lien évident avec les programmes de sciences de tout niveau ainsi qu’avec le travail sur l’orientation que les élèves ont à réaliser au cours de l’ensemble de leur scolarité.
Sur les conseils du chef Marx nous sommes allés au CFIC pour suivre l’un de ses ateliers d’enseignement en cuisine moléculaire. Sur place, la réalisation de chromatographies sur plaque de silice, la fabrication d’arômes naturels et artificiels et l’étude du processus de gélification permettent de balayer un ensemble très large de compétences et notions des programmes de sciences du secondaire au supérieur.

La cuisine de demain

La cuisine de l’espace

Au salon du Bourget 2019 Claudie Haigneré (scientifique, spationaute et femme politique française), Thierry Marx et Raphaël Haumont se sont rencontrés pour échanger sur le thème de la cuisine de l’espace. Cette nourriture doit à la fois être équilibrée, facilement conservée, avoir une structure non dangereuse pour les appareils (par exemple les miettes peuvent se loger un peu partout, on privilégie donc les tortillas, qui font moins de miettes). Ces challenges peuvent être réfléchis et travaillés en classe. On peut d’ailleurs réaliser des recettes en utilisant le principe de lyophilisation (ou cryodessiccation) en étant équipé du matériel adéquat.

Pour aller plus loin vous pouvez visionner la retransmission vidéo de "space cooking" au salon du Bourget.

L’éducation au développement durable

Sablés au romarin et à la farine d'insectes
Sablés au romarin et à la farine d’insectes

L’éducation au développement durable est un aspect majeur des programmes de sciences de tous niveaux et de la formation des citoyens de demain.
L’alimentation est évidemment au cœur de cet enjeu à de nombreux égards ; la disponibilité et l’exploitation des ressources (eau, sol,…), les émissions de gaz à effet de serre, nourrir l’ensemble de la population croissante de la planète Terre, etc.
L’alimentation à base d’insectes peut servir de base à ces sujets. On peut en voir l’intérêt et les limites à différents niveaux et on peut aisément s’en procurer pour les déguster tels quels ou réaliser des recettes à partir de ceux-ci. Leur étude présente l’intérêt de pouvoir aller plus loin en travaillant sur les allergènes présents dans la cuticule des insectes et réaliser une transition avec un cours sur le système immunitaire.
Enfin, le jardin pédagogique est un point névralgique pour le lien cuisine et sciences.
Ce jardin sert évidemment de ressources en cuisine mais on peut se servir de celui-ci pour travailler de nombreuses compétences et notions des programmes du cycle 1 à l’université et notamment sur la partie « Education au développement durable ».

Voici un exemple de recette à base d’insectes : "Les sablés au romarin, au parmesan et à la farine d’insectes".

Conclusion

On comprendra qu’une infinité de concepts, de matériels, de techniques peut être illustrée, expliquée et utilisée en cuisine. C’est le cas de ceux que nous avons explorés précédemment mais aussi de nombreux autres tels que la centrifugation, les diagrammes floraux, les nodosités, la permaculture, les émulsions, les tensio-actifs, le Banc de Köfler, la réaction de Maillard, etc.
Au-delà de cela, la cuisine de demain s’impose comme un enjeu majeur en termes de développement durable et est un élément central sur lequel les générations actuelles et futures devront se pencher.
Ainsi les sciences et la cuisine sont les inséparables constituants d’une solution apportant des réponses aux enjeux de demain.

Retrouvez d’autres recettes et ressources en allant sur le site "cuisineetscience"