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Sciences de la vie et de la Terre

Le projet Merowe

23 / 04 / 2006 | Liliane Grandmougin

Alors qu’un tiers des pays africains n’a pas accès à l’électricité, le Soudan s’apprête à doubler sa production grâce à un gigantesque barrage au nord de Khartoum. Un grand progrès ? Pas pour tout le monde, selon l’avis des scientifiques et écologistes qui ont étudié le projet Merowe.

La construction, de 65 mètres de haut sur 7 kilomètres de large va retenir 10 millions de mètres cubes d’eau, sur des centaines de kilomètres carrés. Or, en amont du futur barrage, dans les plaines du Nil, se trouvent les terres de 10000 familles d’agriculteurs, très pauvres. Tous devront être déplacés. En aval, d’autres paysans doivent l’essentiel de leurs ressources aux riches sédiments déposés régulièrement par les crues du fleuve. Ceux-ci seront désormais retenus par le barrage. L’eau brassée par les turbines deviendra anoxique, c’est-à-dire dépourvue de dioxygène d’où des conséquences catastrophiques pour les écosystèmes au pied du barrage.

Face aux protestations, les réponses des compagnies et pays impliqués sont diverses. Un des directeurs exécutifs de Lahmeyer International, compagnie allemande conseillère technologique du projet, avance que le rapport publié n’était qu’un premier document d’études. Par exemple, il est maintenant prévu que les vannes soient ouvertes au moment des crues pour laisser passer les sédiments, et les turbines seront situées à 12 mètres sous le niveau de l’eau pour assurer une oxygénation suffisante.

L’ennui est que le rapport final n’a jamais été publié et contrairement aux règles internationales pour ce type de vaste projet, le rapport n’a pas été mené par des experts indépendants mais par Laymeyer international, chez qui les scientifiques ont signé une clause de confidentialité. On sait déjà que les turbines ne resteront pas à 12 mètres sous l’eau à cause des crues, ce qui ne permettra pas un bon niveau d’oxygène.

Un des responsables financiers du projet à Khartoum annonce le relogement des 10000 familles affectées pour une enveloppe de 700 millions de dollars. Mais un groupe d’études indépendant a montré que les nouvelles conditions de vie étaient loin d’être satisfaisantes : exiguïté des locaux, qualité des sols insuffisante pour l’agriculture, difficulté de reloger toutes les familles ...et auront-elles seulement accès à l’électricité tant convoitée ?

L’attitude de la Chine est plus claire : le vice-président de l’Institut chinois des Ressources en Eau et de la recherche hydroélectrique ne commente aucune des critiques émises. Il confirme qu’une douzaine d’autres projets similaires à Merowe sont en cours en Afrique. Ils concurrencent le marché européen et américain en proposant un coût d’un tiers tout en réduisant le temps de construction. Le vice-président ajoute que si les normes environnementales et sociales sont plus strictes en Chine depuis ces cinq dernières années, elles obéissent dans le cas du Soudan aux lois locales. Si les pays concernés ne se préoccupent pas des conditions de travail et leurs conséquences, pourquoi la Chine le ferait-elle ?

D’autres compagnies européennes sont impliquées dans le projet Merowe, en particulier ABB (Suisse) qui fournit l’équipement électrique et Alsthom (France) qui apporte les générateurs et turbines. Les grandes constructions prévues sont le début de nouveaux investissements chinois en Afrique, premiers pas dans un vaste marché qui donnera à terme l’accès aux innombrables ressources du continent, dont le pétrole.

Peu importe que l’on répète les erreurs du passé, comme les barrages d’Assouan en Egypte ou plus récemment des Trois Gorges en Chine. Tant que les pays « d’accueil » sont peu regardants sur les droits de l’Homme et les normes environnementales, c’est bon pour les affaires, au moins à court terme. Et tant pis pour les 50000 personnes des ethnies pauvres, dépossédées de leurs terres et relogées dans des conditions médiocres, comme la tribu Shaigiya.

Les Qui ?

L.G.

D’après Nature- Vol.440- 23 Mars 2006.