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Sciences de la vie et de la Terre

Permafrost en danger

11 / 05 / 2012 | Liliane Grandmougin

Avec l’augmentation des températures arctiques, le permafrost commence à dégeler, mais on n’en connaît pas encore l’amplitude ni les conséquences. Il y a en effet une part de dioxyde de carbone libéré -qui pourrait atteindre l’équivalent du taux actuel dû aux déforestations- mais aussi une grande quantité de méthane émis.

Différentes études ont récemment mis l’accent sur des sources de carbone : des incendies dans les toundras, la libération massive de méthane, carbone fossile piégé sous des grands lacs, et de gigantesques réserves dans les sols gelés du Nord. Pour ces derniers, on estime que 18,8 millions de kilomètres carrés retiennent 1,7 milliards de tonnes de carbone organique, restes animaux et végétaux accumulés pendant des milliers d’années, sur plusieurs mètres d’épaisseur. Cela représente quatre fois plus que le carbone émis par l’activité humaine récente et deux fois plus que ce que contient actuellement l’atmosphère. La réponse à l’impact que peut avoir la modification de ces sols sur le changement climatique reste suspendu à trois questions : quelle quantité sont-ils susceptibles de libérer dans l’atmosphère ? Sous quelle forme ? Et à quelle vitesse ? De simples questions auxquelles il est difficile de répondre.

Lorsque les sols dégèlent, des bactéries décomposent le carbone fossile et libèrent du méthane CH4 et du dioxyde de carbone CO2. Tout le carbone organique ne se décompose pas à la même vitesse : certaines molécules simples sont vites transformées en gaz, tandis que d’autres plus complexes son dégradées plus lentement. Si une grande partie du permafrost pourrait être libérée lentement sur des décennies, une fraction plus petite pourrait rester prisonnières pendant des siècles après le dégel. Le type de gaz libéré affectant le réchauffement dépend aussi du contexte. Les environnements pauvres en dioxygène comme les marécages ou les tourbières contiennent plutôt des bactéries libérant du méthane, un gaz à effet de serre au potentiel 25 fois plus puissant que le CO2 sur cent ans. D’un autre côté ces zones ont tendance à retenir plus de carbone dans leur sol.

La quantité de carbone libéré est difficile à prévoir. Par exemple les modélisations à grande échelle du dégel du permafrost sont fonction de la température de surface. Mais le phénomène est plus complexe. Lorsqu’il y a dégel, des blocs de glace se fracturent et font s’effondrer la surface, amplifiant le dégel de ce qu’il y a en dessous. En témoignent les "arbres ivres" à-demi effondrés les uns sur les autres par la subsidence du sol. Les données valables sur ces régions désertiques sont en plus assez rares, par manque de stations d’études, bien qu’elles couvrent presque un quart de l’hémisphère Nord.

Cependant, les quelques 41 spécialistes internationaux ayant contribué à l’étude ont acquis de solides données au cours du temps qui peuvent donner une idée des risques. Sur les trois scénarios envisagés à partir des enregistrements de1985 à 2004, le premier, l’estimation la plus faible, prévoit un réchauffement de 1,5°C d’ici 2040, pour atteindre 2°C en 2100. Dans le scénario à estimant la plus pessimiste, on prévoit une augmentation de la température de 2,5°C en 2040 et 7,5°C en 2100. Dans tous les cas, la température est supposée rester stable de 2100 à 2300 ce qui donne une idée du délai de réponse du climat à une modification du permafrost.

Dans le cas du plus fort réchauffement, cela dégraderait 9 à 15% du sommet des 3 mètres de permafrost d’ici 2040, puis 47 à 61% en 2100 et enfin 67 à 79% en 2300. La quantité de carbone libéré serait de 30 à 63 milliards de tonnes en 2040, 232 à 380 milliards de tonnes en 2100, 549 à 865 milliards de tonnes en 2300. Ces valeurs, exprimées en équivalent CO2, combinent les effets du dioxyde de carbone et du méthane, mais on pense que si la part du méthane sera probablement de 2,7% par rapport au CO2, sont effet sur le réchauffement sera de 50%, à cause de ses propriétés plus puissantes.

De telles estimations dépassent de 1,7 à 5,2 fois les valeurs rapportées par la plupart des modèles récents, toutes basées sur les mêmes scénarios de réchauffement. Ces prévisions alarmistes prédisent une perte des réservoirs de carbone que sont les permafrosts de 7 à 11% d’ici 2100, dans le cas le plus pessimiste. Ces chiffres sont compatibles avec des mesures en climat tempéré sur des centaines de sites au Royaume- Uni, qui attribuent au réchauffement global une perte de 7 à 14% du carbone stocké dans les sols. D’autres estimations, basées sur un seul site de permafrost, étendu à plus grande échelle arrivent au chiffre de 5% de pertes sur cent ans.

Bien que l’effet soit moindre que la combustion des carburants fossiles, la libération de carbone par le dégel du permafrost peut jouer un rôle amplificateur majeur dans le réchauffement climatique. Ces terres sont loin des influences humaines dans des zones peu accessibles et non fréquentées, pourtant lorsque leur dégel sera amorcé, les émissions de carbone vont durer des décennies, voire des siècles. Aussi est- il impératif de réduire les déforestations et combustions d’énergies fossiles avant que cela ne se produise.

L.G d’après Nature, vol.480- 1er décembre 2011.