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Sciences de la vie et de la Terre

Tsunami : un monde divisé

04 / 02 / 2006 | Liliane Grandmougin

L’ampleur du récent désastre en Asie a laissé la communauté scientifique sous le même choc que celui qui a saisi toute la population de la planète.

Le tsunami du 26 décembre 2004 s’est produit vers 1 heure GMT, suite à un mouvement tectonique et un séisme de 9 sur l’échelle de Richter, le plus important depuis 40 ans. La plaque indienne, poussée par la plaque australienne remontant vers le nord, a bougé sous la microplaque birmane, soulevant celle-ci de plus de 10mètres, sur une longueur de 1000 à 1200 Kms. Ce brusque déplacement de masse est à l’origine d’une vague voyageant à très grande vitesse (500 à 800 Kms/h), sans perte d’énergie jusqu’à ce que le fond s’élève et lui fasse prendre une ampleur de 20 à 30m : un tsunami dévastateur lorsqu’il atteint les côtes.

Des catastrophes se sont déjà produites par le passé, mais celle-ci mérite plus qu’un brusque élan de charité. Plusieurs interrogations débouchent sur un certain malaise et un sentiment de culpabilité. Pouvait-on prévoir et prévenir un tel désastre ? En effet, les dégâts les plus importants se sont produits sur les côtes est de l’Inde et au Sri Lanka, deux heures après le séisme. Des stations, aux Etats-Unis et au Japon, avaient enregistré et signalé l’événement en temps réel, sans apparemment faire grand-chose, malgré les moyens modernes de communication.

Ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé : les premières estimations de la magnitude du séisme donnaient une valeur de 8 sur l’échelle de Richter, ce qui est important mais pas exceptionnel pour un phénomène sous-marin, dans une zone de subduction. En absence de système de surveillance local, rien ne laissait prévoir un tsunami. Aussi la plupart des chercheurs américains sont-ils allés se coucher la nuit de Noël, sans se douter du carnage qui allait suivre.

Pour l’Ouest de Sumatra, la proximité de l’épicentre ne laisse aucun doute : toute tentative d’alerte aurait été vaine dans un si bref délai. Qu’en est-il des autres régions ?

Là, un système de surveillance comme celui qui existe autour de l’Océan Pacifique aurait pu faire la différence. Pourtant, les menaces étaient connues : un rapport en 1999, établi par une des organisations chargées de surveiller les tsunamis (l’ITSU) signalait déjà : « les risques de tsunami existent des deux côtés de l’Océan Atlantique, dans l’est de l’Océan Indien, en Méditerranée, aux Caraïbes et en Mer Noire ; il faudrait encourager tout effort de prévention ».

Le Pacifique est sous surveillance étroite depuis les raz-de-marée de 1960 et 1964, tandis que le dernier séisme dans l’Océan Indien remonte à 1833 : les risques ont été négligés. De plus, le Pacifique borde les côtes des USA, du Japon et de l’Australie, plus à même d’utiliser des moyens de prévention efficaces que la plupart des pays pauvres de l’Asie du sud. Ceux-ci ont des préoccupations plus terre-à-terre que la surveillance d’un événement inéluctable, mais lointain.

Comment malgré tout mettre en place à peu de frais un système de prévention ? Par exemple en informant la population de quelques signes avant-coureurs comme un brutal retrait de la mer sur une longue distance. Une autre possibilité consiste à centraliser toutes les informations sismologiques de la région, comme c’est le cas à Hawaï, pour prévenir rapidement un réseau local de radios ou télévisions, complété si possible par des sirènes d’alarme, pour les zones qui ont les moyens de s’équiper. Ainsi, les outils technologiques qui nous ont permis d’assister à la catastrophe, impuissants, depuis notre salon, auraient-ils pu limiter les pertes.

Ce récent événement a fait prendre la mesure des lacunes à combler. Il faut espérer que les spécialistes des Sciences de la Terre feront pression sur les pays riches pour aider les plus pauvres à s’équiper, comme l’ont fait les biologistes dans le cas des maladies tropicales, par exemple. On n’en attend pas moins de toute la communauté scientifique, afin que les gouvernements changent leurs priorités budgétaires pour le bien non de quelques groupes d’intérêt, mais celui de l’humanité tout entière.

L.G. D’après Nature-editorial du vol.433- 6 Janvier 2005.