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Sciences de la vie et de la Terre

Mais...qui a tué les rhinocéros ?

19 / 02 / 2006 | Liliane Grandmougin

Entre 1992 et 1997, plus de quarante rhinocéros blancs (ceratotherium simum), animaux protégés et très rares, furent retrouvés morts dans le parc de Pilanesberg, en Afrique du Sud. Qui avait pu commettre un tel massacre ?

Très vite, les rangers du parc écartèrent l’hypothèse de braconniers, les victimes ayant conservé leur corne, objet de convoitise et de trafics juteux. Alors qui ? Les soupçons se tournèrent rapidement vers de jeunes éléphants turbulents, déjà responsables de comportements agressifs.

Ces éléphants (Loxodonta africana) étaient des orphelins, survivants d’abattages dans le parc Kruger. Ils avaient été réintroduits à Pilanesberg dans les années 1980, alors qu’ils avaient moins de dix ans. Là, ils grandirent en absence d’adulte mâle jusqu’à leurs 18 ans, début de leur puberté. Normalement, celle-ci survient vers 25-30 ans et se manifeste par une période d’intense activité sexuelle (musth) un peu comparable au rut. Au cours de cet état, le taux de testostérone augmente fortement ; il s’accompagne d’un gonflement de glandes temporales secrétant une phéromone (la frontaline [1]), démission d’urine, de comportement agressif et sexuel. Le musth dure en général quelques jours en période de puberté et n’augmente que progressivement à l’âge adulte. Dans le cas de nos éléphants de Pilanesberg, le musth durait plus de 5 mois, ce qui était largement au-delà de la période normale chez des adultes de deux fois leur âge.

Des observations au parc d’Amboseli au Kenya amenèrent les chercheurs à tenter une expérience : les jeunes, là-bas, semblaient en effet plus calmes en présence d’adultes. Aussi introduisirent-ils à Pilanesburg six mâles adultes, parmi la population de 85 adolescents de 15 à 25 ans. Puis ils mesurèrent la durée du musth chez ces derniers. Très vite, cette durée déclina chez tous les jeunes mâles et le début de la puberté fut retardé chez les pré-adolescents. Cela mit fin également aux meurtres de rhinocéros...

La preuve que les « ados » doivent être encadrés par des adultes !
Plus sérieusement, cette étude apporte des informations importantes à tout gestionnaire de réserve naturelle possédant des animaux sociaux, vivant en groupes très hiérarchisés comme les éléphants. Cela montre également les conséquences dramatiques à long terme d’un abattage irraisonné d’éléphants, en particulier par des braconniers qui visent justement les mâles les plus âgés pour leurs défenses, laissant les orphelins livrés à eux-mêmes, devenant stressés, agressifs entre eux et envers d’autres espèces.

L.G

D’après Nature vol.408 - 23 Novembre 2000.

Jeunes éléphants, "ados".
Très excité, l’un d’entre eux pèse de tout son poids pour casser des branches mises dans l’enclos, probablement à cet effet.
(Zooparc de Beauval)

[1voir aussi la brève « sexe, molécules et éléphants