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Sciences de la vie et de la Terre

Y, un chromosome volage !

16 / 02 / 2010 | Liliane Grandmougin

Le chromosome sexuel mâle, longtemps considéré avec dédain comme l’avorton inachevé du caryotype, vient d’être complètement séquencé chez le chimpanzé et…se revèle plus complexe qu’on le pensait ! La comparaison avec son alter ego humain – le seul autre chromosome Y a avoir été séquencé, révèle un taux de changements qui ridiculise le reste du génome.

Le chromosome Y du chimpanzé (Pan troglodytes) et de l’homme sont « affreusement différents l’un de l’autre » déclare D.Page, du Whitehead Institue for Biomedical Research de Cambridge (Massachusetts), « on dirait qu’il y a eu une totale rénovation ou même ré-invention de ce chromosome dans les deux lignées ».

Les gonosomes – ou chromosomes sexuels X et Y – ont évolué il y a 200 à 300 millions d’années, mais chez les chimpanzés et humains, ont divergé il y a seulement 6 à 7 millions d’années. Les comparaisons du génome des deux espèces laissaient penser qu’il y avait eu très peu de changements depuis.
Mais les analyses excluaient le chromosome Y, dont la plupart des séquences sont faites de palindromes et de blocs de bases en miroir, qui gênent la plupart des techniques courantes de séquençage. Des portions du chromosome Y avaient été répertoriées il y a quelques années, mais ce n’est que maintenant que l’ensemble est disponible de manière plus précise, grâce aux travaux de l’équipe de Page.

Comme des études l’avaient précédemment suggéré la plupart des différences entre les deux types de chromosomes Y sont dues à des délétions chez le chimpanzé et des insertions et additions chez l’homme. On a constaté que le chromosome Y du chimpanzé n’avait que 2/3 de gènes et familles de gènes semblable à celui des humains, ou 47% de mêmes éléments codants. Le reste du génome, par comparaison, présente 99% de points communs entre les deux espèces.

Encore plus étonnant : plus de 30% du chromosome Y du chimpanzé est réarrangé de telle façon qu’ils ne peuvent s’aligner avec le Y de l’homme alors que ce n’est vrai que pour 2% seulement des autres chromosomes. Et même les portions qui s’alignent ont des localisations très erratiques ! Dans le seul chromosome à avoir été séquencé aussi précisément pour les deux espèces, le chromosome 21, les scientifiques ont trouvé moins de modifications. « Si vous marchez le long du chromosome 21 du chimpanzé, vous pouvez tout aussi bien vous trouver sur le chromosome 21 humain »selon D.Page, « c’est comme un morceau de verre intact. Mais pour le chromosome Y, c’est comme s’il avait éclaté en petits morceaux ».

L’évolution rapide du chromosome Y n’est pas totalement une surprise, car il n’a pas d’homologue durant la division cellulaire (il a très peu de points communs avec X) et ainsi évite les échanges et recombinaisons, ce qui conserve mieux ses modifications. On s’attendait donc à ce qu’il possède des différences, mais pas à ce point.

Le chromosome Y est également prédisposé aux changements car la plupart de ses gènes sont impliqués dans la production du sperme, cheval de bataille de l’adaptation reproductive, en particulier chez les chimpanzés. Les femelles réceptives s’accouplent souvent avec plusieurs mâles au cours d’un même cycle, aussi le plus viril, qui a le sperme le plus compétitif, a-t-il le plus de chances de succès.

« Ce chromosome Y est plein de surprises », dit Page, « quand nous avons séquencé le génome du chimpanzé, les gens pensaient que l’on allait enfin comprendre pourquoi nous, les humains, avons le langage articulé, l’écriture et la poésie. En fait, la différence la plus flagrante tient à la production de sperme ! ».

L.G. d’après Nature – vol.403 – 14 Janvier 2010.