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Sciences de la vie et de la Terre

Adieu George

02 / 09 / 2012 | Liliane Grandmougin

Lonesome George, ambassadeur des Galápagos, connu comme la plus célèbre et la plus rare tortue géante au monde, vient de mourir ce 24 juin 2012, à l’âge d’environ 100 ans. George était un symbole pour toutes les espèces menacées, puisqu’il était le dernier représentant de la sous espèce de l’île de La Pinta, Chelonoidis nigra abingdoni. Cette dernière fait partie des tortues dont le bord antérieur de la carapace est surélevé, en forme de selle, typique des tortues qui consomment des végétaux en hauteur tandis que celles qui broutent au sol ont une carapace au bord antérieur plus aplati. D’où d’ailleurs le nom de l’archipel, donné par les colons voyant pour la première fois ces tortues terrestres si particulières, Galápago en espagnol signifiant selle.

Avant que les premiers bateaux n’accostent l’archipel en 1535, les Galápagos abritaient 15 espèces de tortues géantes -contre 11 actuellement ou plutôt 10 avec la mort de George- et leur souffle était un des bruits les plus sonores émis par les animaux de ces îles. Mais les milliers de captures par les baleiniers, les pirates et pêcheurs des 18 et 19eme siècles, ainsi que l’introduction d’espèces invasives comme les porcs, les rats et les chèvres ont eu rapidement un effet désastreux sur les populations endémiques et leurs environnements fragiles. Aussi la découverte fortuite de George sur La Pinta, en 1971, par un spécialiste des escargots eut-elle l’effet d’une petite bombe, la dernière tortue géante de l’île ayant été trouvée en 1906.

Depuis sa capture, George passait ses beaux jours au Charles Darwin Center de l’île de Santa Cruz, en attendant de trouver une femelle de son espèce proche de celle de La Pinta, les conservateurs ayant en projet de la repeupler. En vain...quelques jours après que George ait pris possession de son nouveau logis, on trouva une tortue mâle de petite taille sur Pinta : carapace retournée, ouverte d’un coup de machette. Plutôt que chasser une des chèvres, abondantes encore sur l’île, les braconniers avaient préféré tuer une des dernière tortue terrestre. En 1981, les espoirs ont ressurgi quand des traces furent trouvées sur cette île, mais ce fut de courte durée : revenus quelques jours après avec leur équipement d’étude, les scientifiques n’y trouvèrent que 15 cadavres dont un seul de femelle ; l’ile étant extrêmement dangereuse, pleine de profondes crevasses, elle présente de nombreux pièges mortels pour les tortues. George est donc resté définitivement seul mais surtout, au désespoir des scientifiques, peu intéressé par la bagatelle, contrairement à la plupart des mâles tortues, qui, lorsqu’ils sont en rut, sont prêts à sauter sur tout ce qui a une vague forme de carapace. George s’est toujours montré plus intéressé par ses feuilles de salade, à tel point que les chercheurs ont même un temps envisagé d’organiser les ébats de congénères dans un enclos voisin ou projeter des films pour lui montrer comment faire... Même les manoeuvres de séduction de femelles d’espèces proches introduites dans son enclos l’ont laissé indifférent, tout comme les tentatives des chercheurs qui avaient espoir de récupérer du sperme pour une insémination artificielle. Peut être tout simplement par ce que le comportement reproducteur de son espèce obéissait à des parades uniques, ou parce que les partenaires sur son îles étaient trop rare - on ne le saura jamais ; Lonesome George est donc resté un célibataire endurci et sans descendance.

À plusieurs reprises, sa vie s’est vue menacée. Tout d’abord sur son île d’origine, puis dans son enclos, de par son statut d’icône, en particulier en 1995 lorsque des manifestants parmi les pêcheurs éméchés ont voulu le trucider pour protester contre les mesures de protection de la faune locale, allant à l’encontre de leurs intérêts économiques. Heureusement, George avait aussi ses défenseurs qui ont su le protéger.

Un hommage national a été rendu au paisible pensionnaire par le président Rafael Correa. Pour l’instant, les autorités équatoriennes et les scientifiques discutent de la cause mystérieuse de sa mort (100 ans, pour une tortue des Galápagos, c’est la force de l’âge !)et des suites à donner à ce triste événement : l’embaumer, le cloner ? Du matériel a été affrété d’urgence sur Santa Cruz pour conserver différents échantillons de ses tissus, avant une décomposition rapide du corps.

En tous cas, ce héros restera le porte-drapeau emblématique d’un archipel unique et fragile. Sa mort, en cette année du sommet de Rio +20, consacré à la biodiversité de la planète, prend une valeur toute symbolique.

L.G.

Pour en savoir plus :

 Nature : go.nature.com/hamvew
 D’autres articles de Nature consacrés à George :
 www.nature.com/news/the-legacy-of-l...
 http://blogs.nature.com/news/2012/0...
 http://blogs.nature.com/news/2012/0...
 L’excellent livre de Henry Nicholls : "Lonesome George - The life and loves of a conservation icon" éd.Macmillan, non seulement hilarant mais indispensable, pour comprendre les nombreuses difficultés que représente la conservation des espèces.
 Le Charles Darwin Center : http://www.darwinfoundation.org/eng...

Photos :

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