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Sciences de la vie et de la Terre

Apprendre à voir

29 / 05 / 2006 | Liliane Grandmougin

Apprendre à voir

Dans les années 70, les scientifiques T.Wiesel et D.Hubel reçurent le prix Nobel de physiologie et médecine pour avoir démontré qu’une vision normale s’installe dès les premiers mois de la vie. Au-delà d’une période dite critique, un animal expérimentalement privé de vision à la naissance se retrouve avec un cortex visuel désorganisé de manière irréversible donc devient aveugle. Du moins, c’est ce que l’on pensait, avant qu’un patient de 29 ans vienne surprendre les chercheurs.

S.K., atteint d’aphakie congénitale, avait les yeux privés de cristallin et était aveugle depuis sa naissance, dans un petit village de l’Inde. Là, les enfants sont trop pauvres pour être soignés et naître aveugle est considéré comme une châtiment divin pour des pêchers commis dans une vie antérieure. En fait, s’il avait eu des lunettes dès l’enfance, S.K. aurait pu partiellement recouvrer la vue. Mais à 29 ans, la fameuse « période critique » était largement dépassée.

En 2003, une équipe de New Dehli mit sur pieds le « projet Prakesh » (mot sanskri pour « lumière »). Dans ce cadre, elle offrit à S.K. ses premières lunettes, plus par expérimentation que réelle conviction, puisque S.K. avait une acuité visuelle de 20/900 (la norme est de 20/20 et on est considéré comme aveugle à partir de 20/400). Or, au-delà de toute attente, S.K. atteignit 20/120 au bout de 18 mois, prouvant ainsi que son cortex visuel disposait d’une plasticité inattendue.

Dans un premier temps, S.K. dut apprendre à associer les différentes données visuelles émanant des objets, dont il s’était fait jusque là sa propre représentation mentale. Par exemple, il voyait une vache comme des ensembles de taches noires et blanches séparées, n’en faisant une entité que lorsqu’elle se mettait en mouvement. Rapidement, il apprit à la reconnaître, même lorsqu’elle était immobile.

Ainsi, les travaux antérieurs, sans être remis entièrement en cause, montrent qu’il existe probablement plusieurs périodes critiques lors de l’apprentissage de la vision. Tout d’abord détection du mouvement (ce que possédait S.K.), puis des couleurs, puis la vision stéréoscopique et enfin l’intégration visuelle. Le patient S.K. ouvre ainsi une nouvelle voie à la recherche et représente un formidable espoir pour tous les patients condamnés jusqu’ici par la médecine à rester aveugles toute leur vie.

L.G.
D’après Nature - vol.441 - 18 Mai 2006.