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Sciences de la vie et de la Terre

Jeux sérieux

14 / 02 / 2011 | Liliane Grandmougin

Nous sommes en 2110 et le niveau de méthane dans l’atmosphère a atteint un niveau critique. Vous devez prendre une décision : accepter le risque d’une catastrophe générale en continuant à extraire le gaz pour satisfaire les besoins d’une population croissante, ou bien imposer la politique de l’enfant unique par foyer pour réduire la demande énergétique future, ou encore lancer un programme de recherche sur dix ans pour trouver d’autres solutions technologiques.

Ces jugements d’appréciation sur la politique à mener face aux changements climatiques sont au coeur de « Fate of the world - Le destin du monde ». A travers un ensemble de scénarios à faire dresser les cheveux sur la tête, les joueurs explorent les technologies en géologie, les sources d’énergie alternatives et autres options pour protéger la planète pour les 200 prochaines années. En incorporant des prévisions réalistes à partir de modèles climatiques et de conseils de scientifiques, les développeurs du jeu, de chez Red Redemption, espèrent encourager les joueurs à s’engager et influencer leur comportement face aux menaces de réchauffement global. FOT est le dernier jeu en date parmi les logiciels commerciaux qui essaient de diffuser des messages à travers le divertissement. Mais quelle est leur efficacité ?

Ces dix dernières années, il est devenu de plus en plus évident que les jeux sur ordinateur pouvaient contribuer à l’apprentissage à l’école. Dans un résumé de rapport de 2006, « Unlimited learning », rédigé conjointement par le département d’Education britannique et une association d’éditeurs de logiciels, des études pédagogiques et d’évaluation ont trouvé que les élèves qui avaient suivi des leçons intégrant des jeux interactifs étaient plus engagés dans le contenu de leurs études et montraient une compréhension plus profonde des concepts que ceux n’utilisant pas de jeu. De meilleurs résultats aux évaluations et examens étaient obtenus quand des jeux informatiques commerciaux ou dédiés étaient utilisés comme supports. Une pléthore d’organisations s’est alors lancée dans l’exploration de l’éducation par l’informatique. Au Royaume Uni, cela comprend Future Lab à Bristol et The Serious Game Institute à l’Université de Coventry.

Le succès des jeux vidéos dans l’engagement des étudiants réside dans la manière dont ils sont conçus. Jane Mc Gonigal, designer et chercheur de jeux à l’Institut du Futur à Palo Alto - Californie- et Raph Koster, auteur de « A theory of fun for game design » (2004 - Paraglyph) ont tous deux décrit plusieurs mécanismes efficaces dans les jeux pour soutenir l’apprentissage. Cela inclut les récompenses, des options qui permettent à l’utilisateur d’aborder les obstacles d’une manière personnalisée, la possibilité de tester des hypothèses et d’échouer dans un espace sécurisé, des progressions itératives basées sur des décisions antérieures et des défis consécutifs qui se dévoilent logiquement. Ces règles font écho à plusieurs caractéristiques de démarches et recherches scientifiques.

Avec une bonne mécanique de jeu, l’apprentissage peut en sortir, même lorsque le matériel pédagogique sous-jacent du jeu a des défauts. Le jeu de 2008 « Spores », édité par Electronic Arts, a été critiqué par les enseignants pour son portrait irréaliste de l’Evolution. Pourtant il a été un succès commercial, prouvant qu’il y a un marché pour des jeux mettant en cause des théories scientifiques. Cela a encouragé la communauté de joueurs à débattre à propos de l’Evolution.

Le public potentiel pour de tels jeux est vaste : deux tiers de foyers américains jouent à des jeux vidéos et un tiers des résidents britanniques se considère comme joueurs. Pourtant peu de jeux sérieux à visée éducative ont du succès. La plupart dépendent de fonds gouvernementaux, d’organisations médiatiques et de fondations promouvant les sciences. Attirer les non joueurs est difficile : le mot « jeu » peut rebuter les joueurs potentiels et dévaluer les messages sérieux qu’ils contiennent. Aussi certains développeurs utilisent-ils des noms alternatifs pour leurs produits, comme « plateforme de changement comportemental ».

Il faudra de meilleures productions, plus ciblées commercialement, pour élargir l’attrait et l’efficacité des jeux éducatifs. L’expérience du jeu doit être une immersion, cohérente et crédible. Les jeux ne doivent pas mépriser les facultés du participant ou l’isoler. Ils doivent dépasser le « problème du clown dansant », dans lequel des étudiants répondent à des questions populaires sans en retenir aucune connaissance.

Un nombre croissant de jeux vidéos est en train de réussir ce cocktail délicat. Un exemple, décrit comme efficace et drôle par les éducateurs et les éditeurs est « Un monde sans Pétrole », de Mc Gonigal, co-écrit avec Ken EKlund. Une expérience interactive en ligne s’est déroulée sur plusieurs semaines en 2007, elle utilisait des prévisions réalistes de notre planète et demandait aux gens de collaborer sur des réponses et descriptions de vies futures, prenant en compte leurs impressions sur la raréfaction des hydrocarbures et le manque de ressources énergétiques. Un autre est le jeu de Red Redemption de 2007 sur PC « Climate Challenge » le jeu qui a précédé le titre « Fate of the world » dans lequel des scénarios de recherches étaient également intégrés. Il a attiré plus d’un million de joueurs.

De multiples médias peuvent améliorer le mécanisme de jeu. Les communautés de jeux de réalité alternative captent leur public au coeur du jeu en leur envoyant des e-mails, des messages instantanés et des textos. Ils infiltrent l’environnement physique par de larges panneaux publicitaires, des événements publiques et des encarts dans les journaux et magazines. Ils fabriquent des blogs, des vidéos quotidiennes et des sites web pour accroitre l’impression d’immersion du joueur.

L’approche multimédia a été utilisée dans le jeu récompensé ROUTES d’Oil Production, qui explore la génétique à travers des vidéos, des histoires et des jeux traditionnels sur le web, entre janvier et mars 2009. Avec plus de 500 000 visiteurs et 4 millions de jeux suivis pendant la période de 3 mois qu’elle a duré, et 675 000 visiteurs et 21 millions de joueurs inscrits depuis sur le site, cette formule à succès a été utilisée par ses sponsors Channel 4 Education et le Wellcome Trust pour d’autres campagnes de publications ciblant les adolescents. Cela inclut ADA, un jeu d’exploration encore en développement dans le style de Tomb Raider, qui encourage les filles à choisir une carrière scientifique, et SuperMe, un jeu sorti le mois dernier qui pousse les jeunes gens à l’estime de soi.

Les jeux fournissent une plateforme alternative pour promouvoir les sciences. Si leur mécanisme sont bien conçus, jouer pourrait nous aider à prendre de meilleures décisions pour notre futur.

L.G., d’après Aleks Krotoski - journaliste et chercheur spécialisée dans les applications sociales des technologies. Nature vol. 466 - 5 Aout 2010.