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Sciences de la vie et de la Terre

Qu’est devenu le pétrole ?

01 / 02 / 2012 | Liliane Grandmougin

La salle est silencieuse, tandis que les chercheurs regardent les images projetées sur l’écran : la caméra, pilotée par un robot, révèle des champs de corail couverts d’une boue noire, à 11 kilomètres de la plateforme off shore de Deepwater horizon. Les 4 millions de barils de pétrole déversés [1] lors de la catastrophe et autant de méthane en ont fait la plus grande catastrophe pétrolière marine, aussi bien sur les côtes qu’en milieu profond.

Aussi, mesurer l’impact écologique et économique est il urgent, afin -entre autres- de faire payer les dommages causés par la compagnie pétrolière BP, mais aussi de mieux gérer les futures forages en haute mer. Les ravages côtiers s’atténuent peu à peu, tandis qu’on commence seulement à découvrir ceux occasionnés au large, sur une des zones les plus riche en biodiversité de la région.

La plate-forme est en effet située au large du plateau continental du Golfe du Mexique. Le 20 avril 2010, une explosion a secoué et envoyé par le fond l’édifice, causant 11 morts parmi les employés. Les opérations mises en place pour capturer ou brûler le pétrole n’ont permis d’agir que sur un quart du liquide libéré selon un rapport gouvernemental controversé. Le reste s’est dissout en mer en petites gouttelettes, évaporé dans l’atmosphère, répandu en plaques de goudron ou bien a formé de longues nappes dérivantes. [2] Certaines nappes se sont aggloméré au plancton pour former de longs filaments visqueux, flottant ou coulant entre deux eaux. La cause de cette dernière formation serait due à la lente remontée du pétrole depuis les profondeurs, environ 4 heures. Les gouttes ont eu le temps de perdre les hydrocarbures légers qui empêchent les composants de se séparer, contrairement aux marées noires "classiques" près des côtes qui forment plutôt des boulettes. Ce nouvel aspect filamenteux soulève des questions quant à la modification de toxicité et à la longévité du polluant. Déjà, peu après la catastrophe, les chercheurs avaient remarqué plusieurs indices montrant que tout le pétrole n’avait pas atteint la surface ; au contraire, il était resté en longs panaches à environ 1000 m de profondeur, malgré les dénégations gouvernementales et de la part de BP, qui espérait que tout le pétrole flotterait.
Depuis, on se demande quelle quantité réelle d’hydrocarbures repose sur le fond, et sous quelle forme. Une chercheuse de l’université de Georgie affirme avoir trouvé une large couche noirâtre en forme de chou-fleurs à 130 km de la source, peut être la version filamenteuse mélangée aux sédiments après dégradation partielle bactérienne. Une expérience en laboratoire a confirme cette hypothèse et a même daté les sédiments pollués à partir du thorium 234 : ils se seraient formés pendant et très peu de temps après la catastrophe.
Les dégâts réels sont difficiles à évaluer. Comme un procès est en cours, les scientifiques consultants ont dû signer une clause de confidentialité à propos de leurs résultats. Ils sont parfois frustrés dans leurs recherches, car ils doivent suivre un protocole approuvé par le tribunal, sinon, les résultats ne seront pas retenus. Et malgré les 400 millions de dollars alloués par BP pour la recherche, la plupart n’a pas encore pu être utilisée à cause de problèmes bureaucratiques et juridiques. Une grande partie de ces fonds devrait aller à l’étude des conséquences sur les écosystèmes du Golfe.

Sur les 15419 espèces répertoriées, 1728 vivent autour de la zone de Deepwater Horizon à des profondeurs allant de 1000 à 3000m, là où se trouve le puits, soit le lieu contenant la plus grande biodiversité. Les créatures de zones profondes que des chercheurs ont remontées dans leurs filets, à plus de 150km du puits, comme des méduses, étaient non pas translucides ou roses, mais brunes ou même noires. Les équipements qu’ils repêchaient étaient souvent couverts du cadavre de pyrosomes, du groupe des Tuniciés ; ces petits animaux sont de bons indicateurs de l’état des écosystèmes de surface car ils consomment du plancton. L’étendue des dégâts est estimée à 120000 à 176000 km², soit 8-12% de la surface du Golfe du Mexique. De nombreux animaux morts ont été retrouvés dans les sédiments tandis que de larges bancs de corail étaient recouverts d’une substance brune. On a remarqué des naissances prématurées chez les dauphins Tursiops et 151 d’entre eux se sont échoués sur les côtes. Mais cela était déjà arrivé auparavant, et seuls 6 d’entre eux ont pu clairement voir leur mort attribuée à la marée noire, ainsi que celle de 18 tortues de mer. Les spécialistes des cétacés estiment que le taux de mortalité devrait être 50 fois plus important que celui des cadavres repêchés. Les chercheurs sont inquiets, en particulier à propos des bébés tortues de Kemp qui nagent au large des côtes, très vulnérables aux polluants, ainsi que la plus part des larves et juvéniles de diverses espèces, la catastrophe étant survenue au moment des naissances. Ils sont très sensibles aux composants toxiques, ainsi qu’aux produits de dispersion utilisés. Des expériences menées sur des poissons-zèbres ont montré que même de toutes petites quantités de pétrole entrainent des arrêts cardiaques et anomalies chez les embryons. Comme dans la nature les larves sont en plus consommées par les prédateurs, il est quasi-impossible d’estimer l’étendue des dommages.

Les dégâts occasionnés sont probablement plus insidieux, donc plus difficiles à relier à la catastrophe dans le cadre d’un procès, aussi bien sur le plan écologique qu’économique.

L.G. d’après Nature-vol.472-14 avril 2011.

[1soit environ 527000 tonnes ou 636 millions de litres

[2quelque chiffres, moyens, en milliers de barils :
 dispersion naturelle en gouttelettes : 630
 dispersion chimique : 770
 nappes, plaques de goudron, plaques sur les plages : 1100
 évaporation ou dissolution : 1200
 enlevé par opérations d’urgence : 1240 (820 : récupéré du puits, 260 : brûlé, 130-190 : écumé)