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Sciences de la vie et de la Terre

Zoom sur...Développer sa pensée créatrice et ses compétences émotionnelles par l’imagination

01 / 05 / 2020 | Laurent REYNAUD

La pensée créatrice mobilise des compétences émotionnelles qui, loin d’être marginales, peuvent être utiles, voir nécessaires, aux apprentissages scolaires.

L’imaginaire des élèves peut être une voie d’entrée valorisante pour travailler cette compétence psycho-sociale avec les élèves et se déployer comme évaluation diagnostique dans le champs didactique.

Constat

Cet élève a une imagination débordante”, “Bravo pour ce travail plein d’imagination”, “Faites appel à votre imagination” … Autant de verbatims, issus du quotidien des classes, qui témoignent de l’attention et de la valorisation toute particulière que portent les enseignants à l’imaginaire quand il se déploie dans un travail scolaire : un schéma en SVT, une rédaction en français, une chorégraphie en EPS, …

Ce recours à l’imaginaire peut venir spontanément des élèves ou être encouragé par les enseignants, au détour d’une activité, mais force est de constater que l’imagination est rarement travaillée en tant que telle. Or le travail sur l’imaginaire peut être un support au développement d’une compétence psycho-sociale : la pensée créatrice qui mobilise les compétences émotionnelles.

Dès lors,
de quelle manière peut-on développer la pensée créatrice, et les compétences émotionnelles associées, à partir d’un travail fondé sur l’imaginaire des élèves ?

Cet article propose la description d’une activité proposée aux élèves (pendant la période de confinement) plaçant l’imagination comme support de travail, un bilan de cette activité et une piste de transposition en classe et en SVT.

Objectifs

L’activité proposée vise des objectifs précis :

  • Développer l’imagination des élèves
  • Valoriser la pensée créatrice
  • Accueillir des émotions et y associer des mots

Références

  • Ce travail s’ancre dans le travail des Compétences Psycho-Sociales par les élèves : développer une "pensée créatrice" mobilisant ou interrogeant les compétences émotionnelles [1]
  • Ce travail s’inspire des travaux du psycho-pédagogue italien Francesco Tonucci [2] et d’un article de presse [3]

Descriptif de l’activité proposée aux élèves

Pendant les vacances de printemps de 2020 passées en confinement, une activité facultative est proposée aux élèves des classes coopératives du lycée Jacques Feyder [4] : “Une évasion par les nuages”.

La consigne est la suivante :
« Dessinez (ou prenez en photo) un nuage que vous observez de votre fenêtre. Pas n’importe lequel, LE nuage qui vous plaît (peut-être faudra-t-il être patient et les regarder défiler). A partir de l’observation de ce nuage, vous pouvez laisser votre imagination vous porter : écrire un récit ayant pour sujet ce même nuage, un poème, un dessin, un montage,… bref vous le faites vivre dans votre imaginaire créatif. »

La production est ensuite récupérée par mail.

Elle fait l’objet d’un retour qualitatif valorisant de l’enseignant avec un encouragement et un conseil. Nous avions prévu un évaluation formative mais il s’avère qu’une évaluation sur la base de critère n’est pas très pertinente si on cible celle compétence subjective.

Exemple de retour : Bonjour X, merci pour ce très beau dessin où se mêlent réalité et imaginaire sur un air de poésie. C’est super ! Tu peux préciser un titre et une petite explication sur comment tu l’as fait et la symbolique que tu as voulu exprimer.

Productions

Voici quelques productions d’élèves
(issuent de https://feydercoop.wordpress.com/2020/04/20/confiner-sur-un-nuage/)

Rétroactions

Retours d’enseignants
Initialement, j’envisageais plus cette activité comme un “passe-temps” hors champ scolaire pour les élèves. Suite aux retours des productions, j’ai découvert le potentiel créatif de certains élèves que je ne soupçonnais pas et je me suis alors dit que c’est en sollicitant davantage cet esprit créatif qu’on pouvait pleinement valoriser les élèves en toute crédibilité. J’envisage de ménager quelques activités de ce type dans mon champ didactique par exemple en demandant aux élèves d’imaginer la rencontre entre un être humain et un micro-organisme de son microbiote intestinal (lien programme des SVT de 2nde)
REYNAUD Laurent, professeur des SVT

Pour moi, ça a été très agréable et enrichissant d’avoir un retour d’élève qui soit complètement autre que celui que je peux avoir habituellement sur du disciplinaire pur.
Ça m’a permis de voir sous un autre angle, les élèves qui se sont essayés à cette activité.
Ça permet à l’élève de mettre en valeur une compétence qui est peu visible dans ma discipline trop scientifique. On y voit des élèves habituellement très discrets s’y épanouir.
Il me paraît toujours pertinent de pouvoir avoir un autre regard sur les élèves, qui permette de les valoriser. Et ceci d’autant plus lorsque l’élève présente des difficultés dans les compétences purement liées à ma discipline. Ça ouvre sur autre chose...

Fanny DURAND-RAUCHER, professeure de physique-chimie

Je me demande si nous pourrions utiliser le recours à l’imaginaire pour travailler l’orientation avec les élèves ? On l’envisage souvent de façon un peu austère, ce serait un moyen d’enrichir ce moment de leur scolarité.
Raphaël Delarge, professeur d’histoire-géographie

Retours d’élèves
Je trouve l’idée sympathique ! Ca nous change du travail et des devoirs à rendre. Et nous n’aurions certainement pas eu cette idée ! Ca m’a permis de développer un peu plus mon imagination et mes techniques, car je dessine surtout des personnages au lieu des paysages. C’est la première fois que j’ai dessiné en numérique, n’étant pas satisfaite avec des crayons, alors j’ai pu en profiter pour apprendre grâce à l’activité ! Cela m’a quand même pris du temps. Ca m’a donné envie de plus dessiner des choses de ce type et d’imaginer encore plus pour mes fictions ou mes simples rêveries.” Nouannapha

Je pense que cette activité était très enrichissante et apaisante, on a tous en nous un talent artistique et de l’imagination, être amené à les utiliser ne peut nous faire que du bien que du bien, nous permet en quelque sorte de nous évader un instant de notre quotidien en créant notre propre univers avec notre imagination infinie voilà voilà” Céline

Bilan et perspectives

  • Le libre choix de la forme de production permet de satisfaire deux objectifs :
    De rendre possible la participation de tous en levant l’obstacle de la technicité de réalisation.
  • D’ouvrir le champ créatif des élèves sur le choix de la forme de production en plus du fond demandé par la consigne.

Mais cela est également une limite pour certains élèves très scolaire pour qui la consigne structurée est rassurante et cadrante. Les en sortir peut être une bonne chose mais parfois cela peut être source d’une réponse "je sais pas" ou "je sais pas faire". Peut être faudrait-il être progressif pour certain pour qui la liberté est un trop grand lâcher prise ? Il serait alors utile de recenser les élèves bloqués par la trop grande liberté laissée afin de pouvoir leur proposer des pistes, qui pourraient les rassurer, au début.

Suite à ce travail, il apparaît que le caractère facultatif, qui a paru essentiel pour ce type d’activité, a freiné l’adhésion de tous les élèves, certains n’y voyant pas d’intérêt, à cause de l’absence de notation, par crainte d’exposer sa production ou par le flou généré par le libre choix de la consigne (cf limite ci-dessus)

Une hypothèse serait peut-être de rendre obligatoire cette activité tout en assurant des retours positifs et valorisants aux élèves, ainsi cela pourra sans doute permettre une première confrontation à la valorisation qui peut motiver l’implication par la suite. Cette dernière a été testée en histoire géographie avec la consigne suivante : “imaginez une interview de Luther par un journaliste en 1521 ?” Ce travail a été imposé à tous les élèves mais les productions étaient relativement stéréotypées et peu originales.
Par conséquent, le caractère obligatoire ne catalyse pas l’imaginaire et la pensée créative même si il permet d’inclure tous les élèves.

Une alternative serait donc peut-être de ne pas diffuser les productions pour décomplexer les élèves mais cela ne semble pas être suffisant pour ceux qui sont vraiment inhibés par la production artistique et imaginée.
Une autre alternative serait peut-être de rendre l’activité obligatoire, mais en proposant différents sujets afin que chaque élève puisse y trouver un sujet qui l’enthousiasmerait ?

Ce qui n’était pas anticipé avant l’activité, c’est le retour qu’elle aurait sur les enseignants qui l’ont lancée. En effet, les productions ont permis de révéler un potentiel créatif chez les élèves insoupçonné des enseignants, et ce pour des élèves parfois très réservés en classe. C’est d’ailleurs cette prise de conscience qui a amené les collègues à réfléchir à solliciter cette compétence plus souvent en classe dans le champ didactique pour permettre d’accéder à cette vision des élèves susceptible de les valoriser d’une autre manière.

Pistes de transposition possibles en classe

Il semble tout à fait envisageable de transposer cette activité en classe lors d’un temps hors disciplinaire (AP, reprise lors du déconfinement, …) ou lors d’un temps didactique, auquel cas il faudra veiller à le relier avec le programme traité.

Cette transposition en classe doit pouvoir retirer un avantage du collectif classe. En effet, travailler l’imagination dans un contexte collectif peut permettre de recueillir les émotions des pairs et de travailler sur ces retours.
Si ce travail place la focale sur l’imagination, il convient de ne pas solliciter les pairs pour évoquer leur avis ou leur jugement sur le travail de l’élève car l’imagination, qui est alors une compétence à travailler, est un critère pleinement subjectif ce qui en rend l’évaluation complexe.
En revanche, la sollicitation des pairs peut être pertinente pour évoquer les émotions ressenties lors de la consultation de la production de l’élève, tout en travaillant la bienveillance entre les pairs.. Ainsi, ce dernier se rend compte que son travail génère des émotions chez les autres, ce qui pourrait permettre une valorisation de son travail, décentrée de l’unique valorisation enseignante.
Par ailleurs, cette collecte des émotions sur l’imagination des élèves pourrait faire l’objet d’une catégorisation : émotions agréable et désagréable pour mener ensuite un travail sur l’importance à donner aux émotions ressentie comme agréables (cf exemple ci-dessous)

Un exemple de transposition possible en SVT

Par exemple, en SVT dans le cadre du programme de seconde/ thème 3/ “Micro organisme et santé”, il peut être envisagé un travail sur la pensée créatrice et une reprise collective sur les émotions en évaluation diagnostique sur la partie à traiter.

La consigne pourrait être de demander aux élèves ce que représente "micro organismes" pour eux, en utilisant une forme libre (dessin, texte, poème,...). Ces productions sont autant d’accès aux représentation initiales des élèves sur cette notion permettant alors une évaluation diagnostique. Par ailleurs, ce travail de création pourrait mettre l’élève dans une disposition d’ouverture d’esprit et, peut-être, dépasser les barrières d’un carcan disciplinaire. On aurait alors accès à d’autres représentations, moins limitées, des élèves.

Si ces productions offrent une occasion de développer la pensée créatrice des élèves sur la forme choisie, elles permettent aussi de travailler sur les compétences émotionnelles.
En effet, la reprise des productions par le collectif classe pourrait consister à demander aux élèves quelles émotions ils ressentent à la vue de chaque production. Une roue des émotions [5] peut être un support accompagnant ce travail pour lever l’obstacle de vocabulaire.

Points de vigilance : cette reprise collective ne peut être fait que dans un cadre bienveillant pour ne pas tomber dans le jugement des productions. Ce cadre n’est bien entendu pas simple à construire. Voici quelques piste pour encadrer cette reprise par la classe :

  • Consigne claire qui se focalise sur l’émotion ressentie par la production et non sur la forme de cette dernière
  • Anonymat des productions
  • Retour émotionnels à l’écrit et non anonymisé
  • Si possible, changer les productions d’une classe à l’autre
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Par la suite, questionner le pourquoi des émotions et se rendre compte que l’image des micro organismes est souvent désagréable ce qui explique l’émotion ressentie à relier aux représentations initiales entourant la notion de micro-organisme.

Le même travail peut être réalisé en fin d’étude de cette partie pour sans doute observer un glissement de proposition vers les émotions plus agréable à relier au traitement de la partie symbiotique du microbiote.

Conclusion

Il ne s’agit pas là de faire une analyse poussée des conséquences concrètes de ce type de travail pédagogique car il n’a fait l’objet que d’une approche expérimentale hors champ didactique et dans le contexte du confinement.
Néanmoins, ce partage de pratique et de réflexion sur la place de la pensée créatrice et les compétences émotionnelles, à partir de l’imaginaire, dans l’enseignement et son réinvestissement en classe peut ouvrir des possibles sur des activités dont la mutualisation pourrait enrichir nos pratiques.

A suivre donc …

« Imagination will often carry us to worlds that never were. But without it we go nowhere… »
Carl Sagan

REYNAUD Laurent pour les équipes des classes coopératives du lycée Jacques Feyder


Le témoignage : un autre support pour travailler la pensée créatrice et les compétences émotionnelles l’article

[1Synthèse réalisée à partir de la définition de Mangrulkar, Whitnam et Posner ; et de la définition de l’OMS et l’Unesco

[4les classes coopératives sont des classes à projets spécifiques dont le détail est présenté ici :https://feydercoop.wordpress.com/2020/02/12/2426/

[5Roue des émotions de Robert Plutchik

 

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